Eric Bergeault - médiateur de l'Etat sur le Teknival de Chavannes, qui s'est déroulé le 1er mai 2006
Comment expliquer le phénomène des grands rassemblement d'amateurs de musique électronique ? Eric Bergeault y voit un mouvement culturel en train de se structurer et d'évoluer. Entretien.
ENTRETIEN
Quelle est cette passion pour les rave et le monde de la musique techno ?
Je m'intéresse depuis plusieurs années à ce mouvement culturel. Je travaille à Bourges sous l'autorité de M Angel Tapia, directeur départemental de la jeunesse et des sports. Sur le Teknival de Chavannes j'étais médiateur de l'Etat avec les Soud System. Au début, je me suis intéressé aux raves party qui avaient lieu à la fin de chaque Printemps de Bourges et qui ont grossi à vue d'œil d'une année sur l'autre depuis 1998, avec la première rave en forêt d'Allogny à Bléron… Il y a eu les raves de Vierzon, de Vignoux-sur-Barageon, de Veaugues et de Chavannes notamment. Et chaque fois elles ont grossi.
Avez-vous travaillé hors du Berry ?
J'ai participé à la création d'un réseau national au sein du Ministère de la Jeunesse et des Sports. On a mis en place un réseau de réflexion et d'observation sur les pratiques culturelles des jeunes et j'ai organisé des stages nationaux sur le phénomène techno. On menait une approche historique et musicale du phénomène (en partant de la musique expérimentale du début du XXè siècle, en passant par les musiques des années 1950)…
D'où vient ce mouvement ?
Il y a la musique expérimentale et ensuite il y a une vague disco dans les pays anglo-saxons. C'est d'abord un phénomène de clubs, de discothèques. Et des jeunes décident d'organiser des événements en dehors des clubs, d'où le nom « Rave » qui veut dire au dehors, aller au-delà, pour investir des friches industrielles ou directement la campagne. C'était aller au-delà du lieu fermé. Les premiers événements étaient payants puisque organisés directement par les discothèques ou les clubs et ensuite les premiers Soud System se sont constitués. Le soud system historique s'appelle Spirit Trike qui a donné une autre dimension. Il y a eu alors un aspect alternatif. Une autre façon de faire là fête, avec la recherche d'un autre modèle social. C'était au milieu des années 1980. Le premier teknival en France a eut lieu en 1993. A partir des années 2001 et 2002, le 1er mai devient une date de grand rassemblement (Marigny, Chambley...) Il y a eu l'importation en France, avec les premières free-partys en région parisienne et des Soud System français se sont créés. Le Teknival est la troisième phase apparue en 2003. On a d'ailleurs appelé le mouvement le Sarkoval. A l'époque, Nicolas Sarkozy était au Ministère de l'Intérieur et il s'est positionné comme l'interlocuteur de ce mouvement. C'est à partir de cette date-là que les grands rassemblements ont eu lieu.
Le mouvement est-il organisé. Y a-t-il par exemple des organisateurs es qualité du Teknival ?
Non. Moi je ne les ai pas rencontrés. Sur le Teknival nous n'avions que des médiateurs. J'ai travaillé avec une dizaine de médiateurs Sound System. Certains étaient des figures historiques du mouvement. Nous les avons rencontrés avant pour parler de la Charte des sons. Mais ils n'ont pas autorité au sens où ce n'est ni une association, ni un syndicat. Alors les choses s'échangent sur internet, elles vont s'agréger ; mais il y a une confusion. Les choses se passent sans qu'on le maîtrise vraiment. Le Teknival de Chavannes était positionné sur le week-end du 1er mai ; c'est très symbolique. C'est l'appel au son national. Mais il faut être prudent sur les consignes que peuvent donner les médiateurs. Beaucoup de Sound System se placent en marge de la société. Vous leur dites blanc, ils vont faire noir. A Chavannes, on n'a pas eu tous les Sound System prévus, certains ne sont pas venus car ils n'ont pas accepté d 'aller sur des terrains agricoles réquisitionnés. Les autres sont allés en Bretagne ou dans le sud de la France ou au Teknival européen dans le sud de l'Espagne.
Est-ce que le mouvement peut se rattacher à un système de pensée ou à une philosophie ?
C'est d'abord un mouvement culturel. Une partie s'inscrit dans une radicalité de la fête et de la manière d'être ensemble. Une autre façon de se réunir en dehors de tous les systèmes commerciaux, vente de billets, réservation de places, etc. Il y a cette idée de faire la fête et de se rassembler à l'air libre, en pleine nature. Avec la nouvelle génération les choses évoluent. Les nouveaux teuffeurs prennent consciences de la nécessité d'établir un partenariat avec les services de l'Etat.
Il y a donc bien un groupe ancien, une sorte de noyau dur qui joue un peu le rôle de pilier du mouvement ?
Si on veut. Le sociologue Etienne Racine a écrit « Le phénomène Techno » (*) dans lequel il étudie cette population. Par exemple il avait montré, en suivant raves et Teknival sur 4 ou 5 ans, que ce sont des fêtes essentiellement de jeunes blancs. Comme s'il s'agissait de Techno blanches… On ne peut pas dire qu'il y a une exclusion du metissage, mais on s'aperçoit qu'il n'est pas très présent. On est dans un monde où les beurs et les blacks sont présents, mais très minoritaires. Racine montre par exemple que de nombreux vieux teuffeurs présents au début du mouvement des premières free partys se sont étrangement rangés en devenant des membres actifs des Sound System.
Est-ce que ce que vous appelez les adeptes du mouvement ont une réflexion. Y a-t-il eu par exemple des débats au Teknival de Chavannes, une approche des grandes questions qui peuvent croiser ce mouvement culturel ?
Il y a eu des meetings des sons. A divers moments, pendant la durée du Teknival, chaque Sound System envoie deux ou trois délégués pour participer à une réunion où les gens échangent sur la nature de l'événement, sur son sens et aussi sur les éléments de la charte mise en place avec les autorités.
Quel est le parcours du teuffeur dans un espace comme Chavannes ?
Il faut savoir que l'essentiel de la fête se passe la nuit. Dès que tombe la nuit on a un phénomène de montée en puissance, de montée des sons et de l'animation. Il y avait environ cent vingt Sound-system sur Chavannes. Les participants font une sorte de parcours. Ils sont nomades dans la vie, ils sont nomades dans la fête. Ils vont d'un Sound à l'autre. Avec plus ou moins de succès. On a toutes les musiques de la famille techno. Et à Chavannes on a eu des surprises. Puisqu'on a vu des Sound Systèm de musique Reggae et même de musique rock. La nuit, dans chaque espace de vie, il y a des feux qui sont allumés. Les teuffeurs font provision de bois dans la journée. On a vu à Chavannes la reproduction de scène de vie très ancienne. La récolte du bois par les jeunes femmes qui rapportaient des bosquets alentours des fagots sur la tête dont les branches avaient été coupées par les hommes. Une forme de reproduction de vieux usages collectifs…
Pourquoi de nombreux teuffeurs se positionnent-ils si proches du mur des sons ?
Certaines personnes évoquent la défonce aux bruits et veulent vivre le rythme dans leur thorax. Ce n'est pas sans danger. Notamment au niveau des lésions auditives.
Lorsque les teuffeurs arrivaient, ils devaient payer un sorte de droit d'entrée. C'est contraire aux règles du mouvement…
C'est ce qu'on appelle la donation. C'est une idée qui est apparue il y a deux ou trois ans pour faire prendre conscience aux participants qu'un Teknival a un coût. Sur Chavannes la donation a été irrégulière. Le fruit de la récolte de la donation va à divers destinataires. Ainsi une prime a été versée aux services de l'Etat et l'autre aux opérateurs de prévention des risques.
On associe toujours la musique techno aux stupéfiants…
Il y a des prises de risques importants. Mais la majorité des teuffeurs ne touche pas à la drogue. En revanche nous avons constaté qu'il y a beaucoup d'alcool. Il se boit beaucoup de bière, mais aussi d'autres produits. Comme par exemple un retour en force de produits anisés dans les bouteilles en plastique avec un peu de grenadine pour faire plus fun. Et cette alcoolisation nous a sembléé en très forte progression chez les plus jeunes.
La musique électronique est-elle toujours ghéttoïsée dans des fêtes de ce type ?
Non, pas du tout. La musique électro est sortie de son champ tribal depuis longtemps. On la retrouve dans de très nombreux jingles de fils publicitaires, elle croise même souvent le jazz .
Après l'expérience de Chavannes, peut-on imaginer qu'en 2007 le Teknival du 1er mai se déroule sur le même site dans le Cher ?
Sur un plan culturel cela m'étonnerait beaucoup. Dans ce milieu, les participants et les membres des Sound System n'aiment pas se retrouver deux fois de suite sur le même site. En outre le fait que ce soir des terrains agricoles réquisitionnés a créé une scission au sein du mouvement. Plusieurs Sound System ne sont pas venus. Il y a eu des débats sur internet qui ont montré que de nombreux teuffeurs ne voulaient pas de terrains réquisitionnés, mais réclament des terrains d'Etat désaffectés comme des terrains militaires.
ETUDE
Eric Bergeault souhaite mener une recherche universitaire sur ces évènements techno et est à la recherche de témoignages, de souvenirs ou de photos numériques sur le teknival de Chavannes. Les lecteurs peuvent les envoyer sur cette adresse mail suivante :
eric.bergeault@laposte.net